Connaissez-vous le Café Bonnes Nouvelles et le Café Mortel ? Trois PorteurEs d’Eau, Estelle, Maryno et Sylvie en animent un plusieurs fois dans l’année. Pour partager avec vous ces belles aventures, je suis allée à leur rencontre et voici ce qu’elles disent de leur expérience.
Café Bonnes Nouvelles, c’est quoi, Sylvie ?
L’histoire des Cafés Bonnes Nouvelles commence par de la curiosité et une amitié.
Karine a entendu parler des cafés Déclic en Suisse, un endroit où on évoque des projets innovants, bons pour les gens et bons pour la planète. Elle veut proposer ça à Chambéry et m’entraîne dans l’aventure. On a élargi l’équipe avec Yves puis François.
Février 2012, on s’installe dans la grande salle de la maison des associations de Chambéry, aujourd’hui on est à la MJC. Le premier thème a été l’habitat partagé – étonnant de voir les liens avec Porteurs d’eau, le 1er intervenant est Marc Bodinier (encore un Porteur d’eau !) pour présenter Habiterre, puis présentation du Château partagé où se déroulent les sessions « Faire escale » que j’anime avec Maryno. 120 personnes nous rejoignent, un grand succès immédiat qui nous donne un élan qui dure toujours ! Juste la grande tristesse du décès de Karine au printemps 2012.
Et depuis on construit un programme qui donne 5 rendez-vous par an sur ce principe des cafés : on choisit un thème, on invite quatre, cinq intervenants qui ont développé un projet bon pour eux, bon pour les gens, bon pour la planète, c’est notre trilogie.
Et si on s’entraînait à colporter les bonnes nouvelles ?
5 mercredis soir par an de 19h à 21h :
- Un temps d’animation court avec le public pour tisser du lien. Puis on fait un temps d’échange de bonnes nouvelles : on y tient beaucoup. Si on y vient pour voir des « spécialistes des bonnes nouvelles », ça ne va pas du tout ! On sait tous colporter des mauvaises nouvelles, l’actualité nous y aide mais c’est indispensable de s’entrainer à en colporter des bonnes.
- Puis vient le temps des intervenants sur le thème de la soirée : 10’ d’intervention chacun suivies de 5’ avec la salle et on passe à l’intervenant suivant pour un kaléidoscope qui ouvre l’esprit sur le sujet.
Quelques exemples de bonnes nouvelles :
- Un collège dans la Drôme qui fonctionne sans sonnerie et ça marche !
- Les frigos de rue pour y déposer ce qui reste quand on part quelques jours
- Une recyclerie des restes de matériaux de chantiers ou de décors de spectacle
Pour nous, les animateurs, depuis 11 ans on est à l’affût des bonnes nouvelles et on essaie d’être contagieux !!! Et ça marche !
Déjà plus de 50 thèmes débordants de bonnes nouvelles !
- Banque du temps sur les Accorderies et monnaies locales ;
- Médias et bonnes nouvelles ;
- Des formes alternatives pour que la santé aille bien ;
- Rebelles et créatifs pour agir autrement ;
- Habiter ses vieux jours ;
- Les circuits courts alimentaires ;
- Voyager solidaire ;
- Coopérer plutôt que « compétitionner » ;
- Rien ne se perd, tout se répare ;
Concernant les intervenants, il faut être curieux et avoir du réseau !
La communication : le plus important c’est notre liste de mails qu’on enrichit à chaque séance, on fait aussi un marque-page avec les RV de l’année.
Ce qu’on voudrait améliorer ? On aime l’esprit des cafés mais on aimerait rajeunir le public !
Et le café mortel alors ? D’où est-ce que ça part ?
Maryno : Le concept du Café Mortel est né en 2004 en Suisse à l’initiative de Bernard Crettaz, sociologue et anthropologue. Son idée était de proposer un temps où on peut parler du deuil, partager son vécu, remettre la mort dans les conversations.
« Dans cette communauté provisoire, on peut tout ou ne rien dire ; […] On n’est obligé à rien et c’est pour cela qu’on peut beaucoup se permettre y compris d’immenses éclats de rire comme dans les repas d’enterrements ou les fêtes mortuaires », écrivait-il dans son livre « Cafés mortels – sortir la mort du silence. »
Estelle : En 2013, on a organisé notre premier Café Mortel avec l’association Écologie au quotidien à l’occasion des « Rencontres de l’écologie » qui s’organisent à Die depuis vingt ans pendant dix jours en janvier. En préambule nous avons passé un film qui s’appelle : « On ne mourra pas d’en parler » puis premier Café Mortel le lendemain. On était très content d’avoir accueilli 60 personnes. Puis, on en a refait un en 2022 et là on s’est dit : « Tiens, c’est vraiment un sujet intéressant… Il faut qu’on sorte la mort du silence »
On a pris la décision avec Michèle Geoffroy et Anne Tesson, présidente de l’association, d’en faire un tous les mois avec maintenant une équipe de choc: Doreen, Maryno, Michèle, Anne et Jeanne. Lors du premier Café Mortel que l’on a organisé à Die, en dehors des « Rencontres de l’écologies », 30 personnes sont venues et c’est bien ! Aujourd’hui ça fait plus d’1 an et demi qu’on en organise.
Sortir la mort du silence grâce au Café Mortel !
Ce qui me touche, c’est de sortir la mort du silence car c’est un sujet encore bien tabou. La première fois que j’ai participé à un Café Mortel, j’ai été impressionnée par l’actualité de la thématique et le besoin de parole.
Le COVID était passé par là. On a entendu la force des traumatismes de ce qui avait été vécu pendant la période des confinements. Il y avait là des personnes qui n’avaient pas pu accompagner leurs proches dans leur fin de vie, qui ont été écartées de la mort. D’autres n’ont pas pu faire les rituels à la hauteur de ce qu’elles voulaient. On leur demandait de ne pas être plus de dix personnes à la sépulture. Ces hommes ou femmes faisaient le récit d’expériences complètement aberrantes. Leur travail de deuil en est fragilisé.
Parfois des personnes témoignent de traumatismes très anciens – par exemple on leur a caché la mort d’un grand-père quand ils étaient enfants, ou on leur a raconté « n’importe quoi », qu’il était parti au ciel ou en voyage. Des émotions ressortent. Le groupe écoute, accueille. La présence silencieuse permet une vraie restauration soutenante.
Comment se passe un Café Mortel ?
Maryno : Le principe d’un Café Mortel est simple. Nous nous installons dans un café et, en accord avec le commerçant, nous proposons chaque mois une rencontre animée par deux personnes – une personne qui régule la parole et une autre qui se fait gardienne du temps. Quand il y a une troisième personne, elle reste à la porte pour permettre à celles et ceux qui arrivent en retard de trouver leur place ou pour expliquer ce qui se passe aux personnes qui viennent boire leur café ou leur thé et qui s’étonnent de se retrouver face à un groupe. Certain.e.s restent voir ce qui se passe et d’autres repartent en disant « je reviendrai plus tard ».
On essaye de ne pas toujours se retrouver dans le même bar parce qu’on s’est aperçu qu’il y a des gens qui ne vont jamais dans certains cafés catalogués de telle ou telle manière. On essaye donc de tourner. Ça nous permet de toucher différents publics. La dernière fois nous sommes allés à la cafétéria du cinéma et c’était encore un autre cadre. Ce qui est intéressant c’est de mettre le commerçant dans le coup. Nous venons d’être sollicités par une association qui a monté un café associatif dans un village proche de Die pour animer un Café Mortel chez eux. Cela commence à faire des petits et c’est chouette !
Un lieu de témoignage et de parole, pas un lieu de débat… Comment ça s’organise ?
Maryno : Il y a un premier temps d’accueil où on se présente et où on explique ce que c’est qu’un Café Mortel, son déroulement, ses règles. On fait toujours un tour de prénoms, même si on est nombreux. C’est important pour que chacun.e se sente accueilli.e. Le temps de parole et d’écoute se fait sur deux heures et ensuite on remercie. On propose aussi de rester boire un coup, grignoter et discuter de façon informelle pour ceux et celles qui le souhaitent.
Des règles sont posées en tout début du temps de parole et apportent la sécurité nécessaire pour pouvoir déposer sa souffrance, être entendu.e. Ça ne résout pas tout mais ça permet de débloquer une tension, de dénouer quelque chose, de reprendre du souffle.
Donc les règles sont essentiellement :
- Parler en « je »,
- Ne pas couper la parole de l’autre
- Pas de jugement ni de commentaire ni de conseil
- Pas de débat mais un temps de témoignage et de parole
- Prendre le bâton de parole le temps de son témoignage
- Chacun.e peut parler s’il le souhaite mais rien n’est obligatoire. Au bout de 7 minutes une petite sonnette invite à clore la prise de parole.
« N’ayons pas peur du silence, accueillons-le… »
On invite aussi à ne pas avoir peur du silence, à ne pas chercher à combler le vide. Le silence c’est aussi une façon de digérer ce que l’on a entendu.
Et puis on attend qu’une personne se lance. C’est impressionnant parce que cela se fait facilement. Notre présence permet de donner le bâton de parole, de remercier après chaque prise de parole et d’attendre que quelqu’un d’autre se propose. Nous sommes dans une présence soutenante.
Estelle : Je trouve que ce silence est assez incroyable. Il y a quelque chose d’assez magique parce qu’on est tous ensemble. Et il n’y a pas de bruit. On est là avec soi, ça peut cependant être gênant pour certains. Mais, le silence c’est aussi l’acceptation du vide et de la mort enfin !!
Manon : Finalement c’est assez cohérent ! Lorsque l’on perd quelqu’un, on fait souvent une minute de silence.
Maryno : Parfois dans les histoires de mort il peut y avoir des moments un peu cocasses, certaines personnes racontent des anecdotes bien drôles. Dans les Cafés Mortels il y a des moments où on rigole et d’autres où on pleure. C’est vivant !
Pour finir, une petite anecdote vous vient en tête ?
Il y a une petite histoire qui me revient, c’était un Café Bonnes Nouvelles sur le thème de la récup. Il y a une entreprise (malheureusement fermée aujourd’hui avec le covid) qui récupérait du matériel pour le monde culturel. Ils ont récupéré trois kilomètres d’élastique de soutien-gorge et ils en ont fait un hamac qui a eu du succès !
Un autre bon moment : sur les épiceries solidaires, une femme qui était concernée par le sujet, par la précarité, avait dit « Non, moi je ne prends pas la parole ! » Puis à un moment, ça la démangeait. Elle avait envie de dire un truc donc elle s’est levée. Elle est venue au micro et elle a pris la parole pendant plus de cinq minutes et tout le monde était bouche-bée. Quand il se passe quelque chose qui humainement est chouette, notre public a cette intelligence du cœur, il a vu cette femme sortir de sa chrysalide.
Estelle : J’ai dernièrement aussi organisé un Café Mortel pour les enfants. On a demandé aux enfants de dessiner des images qui pour eux représentaient la mort et la vie. Une fillette de 4 ans a dessiné un fleuve rouge pour symboliser la mort et pleins de petits gribouillis sur la montagne. Elle a dit : « Les traits sur la montagne c’est les gens qui sont morts et qui dessinent sur la montagne. » C’était très émouvant. Nous n’avons pas pris le même format qu’avec les adultes car les enfants ont besoin de poser des questions. Lors d’un Café Mortel pour les enfants, un garçon a dit qu’il avait perdu sa maman qui avait été dans le coma; les enfants ont eu besoin de savoir ce que c’était et nous en avons pu en parler.
Maryno : Mon investissement dans les Cafés Mortels est ajusté à ce que nous vivons au sein des Porteurs d’eau. Il s’agit bien de prendre soin des hommes et des femmes, d’accueillir la fécondité de nos fêlures. La mort vient toujours briser quelque chose, elle apporte un flot de questionnements. Beaucoup de personnes se retrouvent seules avec leur désarroi, leur doute et ont du mal à retrouver le fil du vivant. J’aime proposer ce rendez-vous des Cafés Mortels qui engendre de la vie.
Sylvie : Pour moi c’est vraiment une expérience de changement de regard ces bonnes nouvelles, ça me nourrit profondément sans aucune naïveté car je vois bien aussi la difficulté du monde. Et dans mes engagements dans les Porteurs d’eau j’essaie de garder ce regard pour nourrir moi-même les Porteurs d’eau, les personnes qui nous rejoignent et la planète !
Waouh ! et bien merci pour ce beau partage et ces explications….nécessaires ! Bonne continuation pour ces initiatives de paroles et d’humanité.